Max Partezana, Quand la couleur cède
Texte de Armand Dupuy
Il m'est difficile d'approcher le travail de Max Partezana avec le langage pour seul outil. Il impose en effet ses points de surfil sur les bords déchirés des collages alors même qu'on devine leur importance. Ici, le langage est donc un obstacle. Il est d'autant plus difficile d'approcher par ce biais que Raphaël Monticelli s'y est aventuré de belle façon dans un texte qu'il intitule Semeur d'espace. Il rappelle notamment que la déchirure s'apparente à l'accident. Elle participe aussi de l'inachevé, c'est-à-dire du vivant. Le langage, au contraire, pour peu qu'on l'utilise comme attribut fonctionnel du connu, freine le monde en train de se faire, l'arrête lentement puis le fige. Il serait donc plus commode d'avancer la pensée ramifiant, dès lors que la couleur s'y frotte, de la laisser s'effilocher libre et sans avoir à lui donner forme commune et connue. C'est sans doute pendant ce genre de rêverie fugitive que le travail du peintre nous saisit vraiment. Mais ce que fait Max Partezana tient à peu de choses. C'est d'abord un travail acharné de la couleur. Quand certains peintres l'étalent, s'en servent pour mimer la face du monde ou l'interpréter par petites touches, Max la creuse. Il creuse bleu parce que bleu, gris pour la seule raison de gris. Toute couleur est choisie pour ce qu'elle est, dans sa solitude de couleur seule et sa singularité labile.
Max explique « Je pile des fragments de terre pour écrire mes pensées ». Une patiente cuisine précède et contribue à l'œuvre. Et quand Max utilise le mot de terre, il fait bien sûr allusion aux pigments glanés lors de ses voyages qu'il préfère aux couleurs toutes prêtes. Il vous parlera des cochenilles broyées qui deviennent rouge carmin, des pigments au nom de lapis lazuli, du blanc d’argent, de la laque Alizzarine à base de racine garance, du vert Véronèse, du vert émeraude. Des terres dites de Cologne, d’Ombrie, de Sienne, de Cassel et du rouge de Venise. Ces pigments sont tous parcelles du monde mis en pièces. Ainsi, prélevant une infime quantité de matière, et par sa mise à mort, Max dévoile un monde neuf. Je me rappelle ce roman de Hermann Hesse qui avait marqué mes lectures d'adolescent. Plus particulièrement, c'est une réplique de Demian, l'intrigant personnage qui donne le titre au roman qui s'impose : « L’oiseau cherche à se dégager de l’œuf. L’œuf est le monde. Celui qui veut naître doit détruire un monde ». Il est possible que tout travail créateur passe par cette préalable opération de mise à mort. C'est aussi – et d'abord – tenter la mise à mort des certitudes. Peindre n'est plus un savoir faire mais une quête. Le peintre, faisant main de sa tête, cherche la couleur en son état le plus juste.
Ainsi, quand Max déchire ou froisse les papiers préparés pour sa composition, la déchirure a déjà eu lieu. Sa démarche pourrait s'apparenter à ce que propose André du Bouchet : «Peser de tout son poids sur le mot le plus faible pour qu'il s'ouvre et livre son ciel. » De la même façon, Max appuie de toute ses forces sur la couleur. Mais peser n'est pas s'appesantir. On imagine que certains tableaux sont exécutés rapidement. Peser, c'est répéter le doute. C'est persister, malgré tout, pour que la couleur finisse par s'ouvrir dans le geste, qu'elle cède et donne sa lumière. C'est la première déchirure. Et d'avoir été poussée, la couleur est prête à subir ses déchirures secondaires. Il suffira de laisser le papier trouver les lignes faibles et faire le partage.
Je n'irai pas jusqu'à dire que la composition et le marouflage ne sont alors plus que simples formalités, mais la phase cruciale du travail est achevée. Il s'agit maintenant de « faire ce que les peintres ont toujours fait, à savoir transférer du perçu sur du papier, de la toile,... » explique Max.
Il semblerait que Max nous adresse, par ce jeu de déchirures successives qui n'est qu'un processus de transformation de la matière, une forme de scripturalité intime où la terre s'accorde aux pensées. Et, si le langage risque toujours d'arrêter le monde se faisant, ou tout au moins de le freiner, c'est pour cette raison que Max fréquente les poètes. Il cherche la compagnie de ceux qui crachent leur langue usuelle, de ceux qui s'acharnent à l'excéder mais n'y parviennent jamais pour de bon. Il cherche des langues qui refassent la couleur sans la nommer. Depuis quelques années, il réalise de nombreux livres d'artistes avec des auteurs tels Michel Butor, Raphaël Monticelli, Marc Dugardin, Alain Freixe, Jean-Nicolas Clamanges,... Nous en avons également réalisé près d'une cinquantaine ensemble. S'il fréquente les poètes, c'est aussi parce qu'il lui est difficile de produire tout discours sur sa propre peinture. Il se définit lui-même comme un « observateur rêveur », c'est-à-dire un contemplatif. L'expérience de voir et de donner à voir se passe de discours. Max est un travailleur silencieux et discret. Affirmant son goût des choses simples, il situe son art entre l'assiette de pâtes et « la part du rêve ». Il n'en dit pas plus. Alors, à travers les mots que certains veulent bien déposer près de ces collages, il traque la parole étouffée dans laquelle sa peinture existe.